Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.104

Péroz rentre d' Espagne. Son père est un peu fâché, mais bienveillant, pour sa hardiesse, et est content de ce que son fils accomplit ses propres ambitions. Sa mère par contre regrette vivement le temps et l'argent perdus dans cette fugue romanesque, mais elle ressent cependant quelque fierté «  de ma jeune virilité » » (p. 261).

Péroz arrête ses études et s'engage comme volontaire à 18 ans. Ses aspirations le portent vers la cavalerie, mais à la fin il choisit l'infanterie de marine. « C'est ainsi que dans les troupes coloniales affluaient alors des jeunes gens de toutes les classes de la société ; ils étaient mus par les ardeurs guerrières qu'avaient réveillées la guerre de 1870 ». Mais, hélas, « hormis le Sénégal, où, rarement, quelque colonne expéditionnaire remontait le fleuve pour rappeler à l'obéissance une tribu révoltée, partout, dans nos minuscules possessions d'outremer, le silence et la paix, dans une somnolence déprimante ». Péroz est à Toulon, où on l'amène devant le capitaine : (p. 273) : « La porte s'ouvrait violemment ; un grand diable, poivre et sel, avec une longue moustache conquérante pénétrait dans le bureau accompagné d'un cliquetis de sabre heurté aux dalles et d'anneaux de bélières secouées. Immobile dans mon coin, je regardai avec un certain plaisir le magnifique capitaine que la Providence m'octroyait (…) Quel gaillard ! Quelle allure ! » Le capitaine est content ; Péroz lui plaît, il a de la graine d'officier, il est bachelier, et il le met aux élèves caporaux. - Où t'es-tu engagé, mon garçon ? - A Paris, mon capitaine. - Sur ce, le capitaine pousse un hurlement : « crapule parisien », et sa voix devient rauque. - Mais regardez-moi cette gueule de communard ! Qu'on le flanque à la cuisine ( ce qui fut fait). Mais à la fin, naturellement, Péroz devient caporal, « j'avais le droit d'arborer sur mes manches une large tresse en laine rouge ». Hélas, certains deviennent jaloux de lui : « il me fallut aller plusieurs fois sur le terrain. C'étaient des rencontres banales au fleuret. Après ces affaires d'honneur, je n'ai depuis manié une épée qu'à la salle d'armes ou sur le champ de bataille ». Après avoir terminé l'école de sous-officiers, il devient élève officier d'infanterie et sert dans un régiment d'infanterie marine à Brest. « C'est là que nous prenions nos ébats, les ébats de jeunes gens de 20 à 30 ans ». Ce sont des randonnées « somptueuses et bruyantes » dans les rues de Brest, avec des filles « suivies d'une meute de chiens, hurlant à pleine gueule, nous traversions la ville à grande allure ». (p. 293). « La nuit, c'étaient alors des divertissements orgiaques »(...) de jeunes brestoises très impudiques dansaient des cancanes échevelés dans lesquels le pied haut levé s'auréolait d'une lingerie moussue et compliquée d'où s'exhalaient des parfums violents ». Enfin, il atterrit au Guadeloupe où il s'ennuie mortellement et se désespère. Il réussit enfin à être envoyé au Sénégal, à St. Louis, et raconte ses aventures dans le chapitre intitulé » A la conquête du Soudan ». En 1884, il participe à la pénétration Kayes-Bamako, puis à la marche vers le Niger, où ils luttent contre les troupes de Samory. (p. 348) : « et nous fonçons, dévalant les pentes,roulant comme un torrent sur le camp du grand chef noir (…) Devant nous autour des grandes huttes au toit conique, grouille une foule en plein désordre ; les longs vêtements blancs des personnes surprises pendant le salam, fuient en tous sens. Une décharge de mitrailleuses : des salves trouent la masse flottante et la dispersent dans un affolement qui nous donneraient à rire si le moment n'était pas si terrible. Des coups de feu isolés, des cris, des roulements de tambour, des appels de trompe répondent à notre attaque. Nous courons toujours en avant, incendiant au passage le campement royal qui disparaît magiquement dans des tourbillons de monstrueuses langues de feu rouge que surmontent d'épais panaches de fumée noire. Tout craque, tremble et frétille autour de nous ».


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