Pour se démarquer de la femme, il faut surtout la mépriser et nous n'avons pas besoin de citer tous les extraits de nos textes pour prouver cette constatation. Quand Desmons recommande « de ne posséder que des femmes exemptes de tares vénériennes » ou quand Salva propose, pour le mariage, des femmes parfaitement saines, cela rappelle vraiment la foire aux vaches. Au point où les auteurs poussent les choses, il ne s'agit plus de sages conseils pour guider les jeunes hommes à propos de faits physiologiques : mépris et haine transparaissent. Il est vrai que ce qui transparaît aussi, c'est une immense complaisance vis-à-vis de leur sujet traité, vis-à-vis de tout ce qui touche à la femme et à la sexualité. Lorsque Stall énumère sur des pages entières l'horrible apocalypse des maladies vénériennes, on dirait qu'il jubile.
Ce mépris contraste avec la politesse obligatoire vis-à-vis des femmes. Que recouvre-t-elle ? Pourquoi protéger la femme dans la rue en lui laissant le haut du pavé lorsque par ailleurs elle n'a pas le droit de se faire ouvrir un compte en banque ? « Dis grand-mère, pourquoi as-tu de si grandes dents ? Pour mieux te manger, mon enfant... » Il faut protéger la femme, l'aider poliment à endosser le manteau de l'incapacité pour paraître plus capable, supérieur ; elle sera traitée en enfant, on estimera qu'elle est capable de remplir les fonctions d'employée de bureau, et on l'accompagnera dans la rue, parce que la police risque de la prendre dans ses filets lors des rafles des prostituées si elle s'y promène seule...
Il existe un domaine, celui de la prostitution, où cette volonté de dénigrement ne se masque pas, mais qui n'empêche pas la fréquentation des prostituées. Une des nombreuses raisons pour lesquelles les hommes vont chez la prostituée, n'est-elle pas le désir de la transgression assouvie à bon compte, ? N'est-ce pas elle qui incite à franchir la porte maudite de la maison de tolérance ou à accoster une inconnue dans la rue, porteuse potentielle de surcroît de maladies vénériennes, et ceci à une époque où la vie sexuelle tue effectivement ? ( En 1900, 15% des décès étaient dus à la syphilis). Mais lorsqu'on va chez la stigmatisée, on se trempe dans la même abjection...
La femme est dangereuse, elle est à craindre; elle sape, comme la sexualité décrite pour les adolescents, les forces physiques, la force vitale, le sperme... Il faut se méfier de la femme, depuis Eve est est la tentatrice-séductrice. On la scinde en deux : l'épouse-mère respectée et son pendant, la prostituée. Il faut avoir peur de la femme, elle détruit le corps de l'homme : l'ultime menace des hygiénistes est le « ramollissement du cerveau », la partie la plus noble de l'homme après ses organes sexuels. Il faut avoir peur d'elle, mais « il faut en user avec respect » selon l'expression de Gibergues ; au lieu que ce soit elle qui sape nos forces, « il faut user d'elle, s'en servir pour son intérêt, s volonté, son cœur, son corps, son âme, sa vie. »(74)
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