Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.49

Certes, cette soumission physique au prince dominateur rêvé - cette soumission frôlant le masochisme – n'épuise pas la soumission au sens où l'entend l'auteur : la femme doit se soumettre à l'homme également sur d'autres plans : elle doit accepter ses lois à condition qu'elles ne soient pas trop draconiennes ; pourvu qu'il exerce sa domination avec délicatesse. La femme a besoin de la raison de l'homme et doit se laisser raisonner par son mari : elle risquerait de compromettre toutes ses chances de félicité en se montrant irréductible et en s'obstinant à échapper aux conseils raisonnables. Elle doit surtout comprimer et enterrer son orgueil (et il est tout à fait clair de tout ce qui a précédé, que « orgueil » signifie dans ce livre toute son estime de soi.) «  Croyez-vous aux miracles ? Demandait un jour un homme supérieur à sa femme dont il se savait tendrement aimé. Si vous le voulez, répondit-elle ».

On perçoit là comme un lointain écho de la légende de Griselidis ( ou Griselda) , la fille récalcitrante qui après voir été cruellement domptée par son mari, lui obéira à merveille. De source inconnue, traduit en latin par Pétrarque, ce thème fut traité par Boccace dans le Décamérone (X, 10), ainsi que dans La mégère apprivoisée de Shakespeare, et par beaucoup d'autres auteurs. D'ailleurs, cet écho n'est pas si loin que cela : par le plus grand des hasards (?) un auteur français, Armand Silvestre, écrivit, à la fin du 19ème siècle, un mystère intitulé Griselidis, dont Massenet, en 1901, tira un drame lyrique.

Il est d'autant plus recommandé de céder à la volonté de l'homme que la femme elle-même connaît ses propres faiblesses. D'ailleurs, sa fragilité, son manque de raisonnement sont autant d'attraits pour l'homme dont les soumissions successives de la femme flattent l'orgueil.

Les deux grands thèmes de la soumission se dessinent donc nettement: le premier, sur lequel l'accent est mis, est l'idolâtrie – le mot n'est pas trop fort – l'abdication devant le Prince magique de la Force, et l'acceptation volontaire du contrat masochiste dont parle G. Deleuze dans Présentation de Sacher-Masoch (103 ). Le second : le thème séculaire de la femme indocile domptée par son mari qui est son maître devant les hommes et devant Dieu, possédant les biens, le pouvoir et la décision économiques.


Précedent (48) ... Suivant (50)