Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.11

Pendant ce temps, dans les cabinets de toilettes de la salle d'armes, les valets de chambre qui avaient apporté les valises contenant la tenue de soirée de leurs maîtres attendent en compagnie des masseurs et des doucheurs de la salle d'hydrothérapie. Peignes, brosses, vaporisateurs, lotions sont appliqués ; les coiffeurs frisent ces mondains. Cependant, on cause dans ce lieu de rassemblement, réservé aux hommes, :



« L'un raconte qu'en allant hier chez Pierrette à six heures, elle était avec un autre en plein dans ses exercices avec La Roserie. « Comment ! La femme de chambre vous a laissé entrer !? « J'ai fait irruption... Je vous prie de figurer la tête de La Roserie, levé en sursaut, et en bannière, pendant que je tapais à grands coups de canne, sur le lit où se couchait Pierrette... « Oh ! Une femme ! Brézé ! - Une fille !!! Barthois. »(22)



Puis Brézé continue son récit : il avait dit à La Roserie : imbécile, pourquoi tu prends la femme d'un camarade de vingt ans ? La Roserie en était tout honteux, mais Pierrette lui ayant crié qu'il était un lâche de la laisser battre sous ses yeux, il est obligé de se fâcher : bref, Brézé attend ses témoins ; le duel aura lieu, naturellement à l'épée. Brézé ayant choisi ses propres témoins dans l'auditoire, l'histoire prend une autre tournure lorsque les témoins de l'adversaire arrivent, pour concilier :



« Un affront ? Le mot est gros, quand il s'agit d'une tromperie de Pierrette (...) Cette aimable enfant n'est pas, comme nous disons, nous autres cavaliers, difficile au montoir...Voyons ! Tout le cercle y a passé. Et voilà Brézé qui se fâche... mais en bon camarade, c'est lui qui aurait dû y mener La Roserie. « Oh ! Brézé entretient Pierrette ! » « Il n'espère pourtant pas que La Roserie va le rembourser ? D'ailleurs, notre ami payait aussi » Et les témoins ajoutent : « Puisque nous établissons par A + B que la jeune Pierrette est comme le gibier « res nullius », par conséquent la chose de celui qui la tient ou la possède pour le moment(...) D'un côté un monsieur qui a la prétention de garder, pour lui seul, une demoiselle qui est à tout le monde... De l'autre, un être surpris, lamentable et sans chaussettes, qui s'étonne qu'un ami intime l'appelle idiot. » (23)



Le danger du duel est écarté. On conseille, de plus, à Brézé, qui payait 2 000 F par mois Pierrette, de la laisser tomber au profit du gros bookmaker qui est le véritable monsieur de la belle...

Cette présentation des escrimeurs cyniques éclaire un autre aspect de l'honneur « chevaleresque », lequel s'affirme par l'étalage de la force physique, par la rivalité de combat entre hommes, mais il est également teinté de prouesses de possession de femmes. Un de ses éléments importants est l'exhibition des femmes « possédées », qui contribuent au prestige d'un mariage bourgeois. La rivalité est également un élément important dans la conquête des femmes . Le héros typique de cette rivalité est Don Juan qui réussit non seulement à vaincre ses rivaux en séduisant toutes les femmes, mais aussi à rester entièrement maître de soi, hors du jeu, à ne jamais s'impliquer dans ses amours et à tromper non seulement les maris, mais aussi les femmes.


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