Julian Pitt-Rivers (24) analyse l'honneur sexuel en Méditerranée mais en donnant une portée plus générale à ses observations. Selon lui, l'honneur actuel s'est formé au moment où les tribus nomades n'offraient plus leurs femmes contre l'hospitalité des tribus étrangères sur le territoire desquels ils voulaient s'établir : c'est le cas dans l'histoire de Sichem dans la Genèse. L'auteur parvient à la conclusion que l'honneur des hommes dépend de celui de leurs femmes : la virginité de la jeune fille constitue l'honneur de son père et de ses frères, la fidélité de la femme celui de son mari, etc. Ce serait un des fondements de la virilité et de l'honneur masculin. Les personnages d'Ohnet dans la salle d'escrime s'ils exhibent leurs femmes d'une manière ostentatoire, ont d'autres motivations. N'empêche que la virginité avant le mariage est toujours une valeur importante en 1900...
Honneur « chevaleresque » et sexualité masculine sont étroitement liés. L'autobiographie du Capitaine Péroz en témoigne.(25)
Le Capitaine Péroz eut une carrière prestigieuse, après une jeunesse mouvementée passée à se battre avec ses camarades de classe « par besoin de détendre mes muscles », contrairement aux camarades (détestés) qui s'adonnent à des lectures malsaines, pornographiques... Heureusement pour lui, Péroz est grand, souple « allant la tête au vent, le nez très long et provocateur. »Volontaire dès 17 ans en Espagne, il devient officier d'infanterie, réussit à être envoyé au Sénégal, où il participe « à la conquête du Soudan » où ce colonisateur-né peut enfin donner libre cours à ses penchants les plus profonds qui transparaissaient déjà dans ses descriptions de combats, de rixes, de provocations, de duels qui le ravissaient, l'avaient presque plongé dans une exaltation de sa force, de sa masculinité... Au Soudan, des descriptions grandioses, sanglantes, tourbillonnantes sont offertes au lecteur de ces tueries qui procurent à Péroz des sensations inégalables. Ces descriptions extatiques évoquent incontestablement les images de l'acte sexuel, bien entendu sans que notre héros en ait conscience, lorsqu'il parle « des moments où ma lame entre avec un frémissement gras dans les chairs » ou « le sabre, gras d'un sang encore chaud, rentre au fourreau avec un son mat » dans un atmosphère d'apocalypse, où « le campement royal disparaît magiquement dans des tourbillons de monstrueuses langues de feu rouge que surmontent d'épais panaches de fumée noire ».
Ce militaire, homme de « l' honneur chevaleresque », vit sa sexualité à travers ces combats, ces tueries et c'est une sexualité teintée d'homosexualité et de sadisme. Ce sont des hommes qui procurent autant de jouissances à Péroz lorsqu'il les torture ou qu'il les tue ; le personnage qui l'avait rempli de ravissement dans une aventure de bistrot, qu'il avait provoqué en duel avec tant de plaisir « était mon rêve réalisé en char et en os, et d'un fort galant modèle. Beau gars, élancé, très mince dans son dolman, l'air audacieux, de jolies petites moustaches en croc, il me plaisait infiniment. » Mais notre héros tire d'immenses avantages de l'assouvissement de ses penchants au cours de sa vie. Le Capitaine Péroz était un personnage célèbre en France à la fin du siècle. Respectablement marié, promu au grade de capitaine, il est nommé directeur du protectorat sur les états de Samory au Soudan, attaché à l'Etat-major général de la marine, puis il lui est confié le commandement des troupes de Guyane. C'est couronné d'honneurs qu'il put écrire à la fin de sa vie son autobiographie et se vanter de ses exploits.
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