L'HONNEUR BOURGEOIS .
Une autre composante de l'honneur masculin qui s'ajoute à l'image du militaire batailleur est celle de l'homme du devoir et du savoir-vivre, de l'homme de la distinction bourgeoise. Quels sont les éléments de cette morale ? Trois types de sources sont susceptibles d'éclairer notre lanterne : les traités de morale, les manuels de savoir-vivre et d'hygiène sexuelle . Comme c'est l'époque où, à côté des traités de morale, les manuels de savoir-vivre et ceux d'hygiène sexuelle connaissent une soudaine prolifération,(27) ce n'est pas tâche aisée que s'y frayer un chemin, encore moins d'en choisir les plus représentatifs pour en sélectionner les idées directrices. Ces ouvrages ne représentent pas les mêmes mentalités et ne s'adressent pas au même public. D'autant que, dans la société, à l'instar de n'importe quelle autre époque, subsistent simultanément des mentalités différentes. En ce qui concerne la période en question, les traités de morale représentent la perpétuation de l'héritage du passé par des règles de conduite qui dérivent de la religion catholique et de la Cour. S'ils sont aussi nombreux, c'est qu'à l'époque il y avait des cours de morale obligatoires à l'école et ce, de l'école primaire jusqu'aux classes supérieures. Il s'agit donc tantôt de livres de classe différents selon le niveau scolaire et les types d'établissements, tantôt de livres destinés au grand public.
A mi-chemin entre ces livres de morale et les manuels d'hygiène sexuelle, les traités de savoir-vivre, en dehors des conseils pratiques, prodiguent également maints préceptes moraux, mais bien entendu, ils sont différents des traités de morale, ne serait-ce que parce qu'ils concernent principalement les règles de la bienséance, les rapports sociaux et les mondanités.
Quant aux manuels de santé et d'hygiène sexuelle qui surgissent en grand nombre à la fin du siècle, ils représentent la modernité : tout en gardant le côté moralisateur, ils se présentent comme des traités médicaux. Tout se passe comme si la biologie, la médecine et la psychologie devenaient également, à côté des anciennes instances, distributrices de normalité et d'honorabilité.
Contrairement aux traités de morale et de savoir-vivre, les manuels d'hygiène sexuelle s'adressent séparément aux hommes et aux femmes. Ce fut certainement la principale « tâche » de la morale de l'époque que de polariser masculinité et féminité davantage que par le passé.
Un exemple typique des traités de morale « classique » est le livre de G. Dantu (28) car il donne un plan qui se reproduit très souvent dans les autres traités de morale. Ainsi, le chapitre I. s'intitule-t-il « La loi ». Les lois sont consignées « soit dans le Décalogue, soit dans le Code Civil ». La morale exclut le plaisir ((29) et l'intérêt, mais traite du devoir, de la vertu et du vice, du mérite et du démérite. La plus grande partie du livre consiste à énumérer les devoirs, chacun commençant avec le verbe « il faut ». On doit conserver son propre corps, pratiquer la tempérance, faire de la gymnastique, surveiller la propreté du corps – mens sana in corpore sano. On a le devoir de travailler : le travail manuel n'est pas déshonorant. Il faut encore se garder de la cupidité, de la prodigalité, mais épargner et économiser, ne pas contracter des dettes, rechercher la vérité et ne pas mentir. On doit réprimer les passions, avoir du courage (militaire et civil!) avoir de la résignation ; l'orgueil est à réprimer car il n'est que de l'amour-propre. Il faut cultiver la modestie, l'humilité, avoir le juste sentiment de ce que l'on est et de ce que l'on vaut. Les enfants doivent aux parents obéissance, respect, reconnaissance ; les frères et les sœurs doivent s'aimer ; les maîtres doivent, envers leurs serviteurs, surveillance et fermeté ; les serviteurs doivent se savoir surveillés et comme suivis par l' »oeil du maître » etc. etc.
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