Il faut souligner, à propos du mélange des règles de comportement « paternalistes » et « impersonnels » à l'égard des inférieurs un trait essentiel de la société de 1900, un trait dont l'évocation est de la plus haute importance dans l'approche des systèmes de valeurs « morales » tels que les systèmes organisés des honneurs et des hontes. Il s'agit du fait qu'on ne peut nullement considérer la société de 1900 comme « une société capitaliste, bourgeoise, libérale » pure coupée de la société « féodale, médiévale » pas plus que cette dernière ne peut être totalement coupée de « l'antiquité esclavagiste ». Il n’y eurent jamais des coupures aussi nettes dans l'histoire, quelles que fussent les changements dans les rapports de production, les rapports de personne à personne, ni en ce qui concerne les valeurs, les systèmes moraux et religieux : l'honneur chevaleresque se mélange, en 1900, à l'honneur bourgeois, le paternalisme à l'impersonnalité, ce qui n'en constitue pas moins un fait nouveau par ce mélange même des systèmes. Mais il faut reconnaître que les nouveaux systèmes charrient en eux-mêmes les anciens et il ne sert à rien, surtout dans l'analyse des valeurs morales, de découper l'histoire en tranches.
Il existe encore une catégorie d' « inférieurs » que les traités de savoir-vivre ne qualifient pas comme telle : c'est celle des enfants, bourgeois bien entendu.
La Comtesse de Gence conseille aux parents d'être sévères avec les enfants dès le berceau, car les pires habitudes sont vite contractées : il ne faut tolérer ni les cris ni les exigences. Il faut habituer l'enfant à s'exprimer correctement. Qu'il parle tard plutôt que d'employer un vocable spécial usité par les bonnes et les nourrices. Jusqu'à l'âge de quinze ans, il n'a pas à être reçu au salon les jours de réception ; si quelqu'un l'appelle par hasard, il y entre seul, salue et se retire. A dix ans, il peut recevoir ses amis. Qu'il ne parle jamais à voix basse. Ne supportez pas qu'il parle sans être interrogé. Veillez aux propos tenus devant les enfants. Il ne faut pas se disputer devant lui. Les filles doivent être traitées à part : « Les fillettes dès le premier âge sauront qu'elles doivent se rendre utiles dans les soins de la maison. Elles aideront leur maman. »(44)).
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