Nous voici au cœur de la menace qui pèse sur ceux qui s'adonnent au vice solitaire : c'est la perte de la force vitale qui s'écoule goutte à goutte par la perte de la semence. Toutes les exhortations de ces manuels contre la masturbation brodent sur ce thème.
Cette perte de semence signifie-t-elle une perte de puissance sexuelle ? « Cela est vrai, mais pas tout à fait. Le jeune homme, si possible, évitera soigneusement toute perte de fluide séminal », d'autant plus que selon l'auteur, peu d'hommes peuvent supporter des pertes plus fréquentes qu'une par quinzaine. La rétention de ce fluide est absolument nécessaire afin que le fluide vivifiant et procréateur puisse être résorbé et devenir une source de vitalité et de force ; car ce fluide est extrait du sang, il y retourne constamment, on en a donc constamment besoin. ((61)
Il faut donc rompre complètement avec ce vice avant qu'il ne mène au ramollissement du cerveau, à l'affaiblissement de l'intelligence, à l'asile d'aliénés et au cimetière... Mille conseils sont prodigués par les auteurs de ces traités : à ceux déjà cités, Stall ajoute le lavage des parties génitales à l'eau froide ou « en nouant une serviette autour de la taille de manière à ce que le nœud, placé derrière, empêche le patient de coucher sur le dos ». Si tout cela n'y fait rien, employons la méthode de Tissot conçue en 1790 et exécutés par un noble italien : il avait décidé que chaque fois qu'il rêverait de femmes, il se réveillerait. Au bout de quelques jours, il réussit à se guérir totalement. Stall conseille encore la gymnastique avec une paire d'haltères, extenseurs ; un régime alimentaire exempt de porc ; aller à la selle tous les matins, etc. etc. (62)
Dans cette véritable croisade déclenchée à la fin du siècle contre la masturbation, c'est surtout son ampleur qui étonne. Elle s'inscrit dans l'amplification du discours sur la sexualité décrite par Foucault. (63).
Mais si le vice solitaire est néfaste, ses conséquences sont encore négligeables par rapport à celles du commerce avec les femmes, à celles des maladies vénériennes. Selon Stall, celles-ci sont transmises héréditairement par le père coupable à son enfant innocent et communiquées à l'épouse, aux nourrices, aux domestiques... Le mal peut disparaître pendant des décennies pour reparaître et « couvrir le corps entier de la malheureuse victime de plaies qui étonnent le patient lui-même ». D'innombrables maladies guettent les coupables : inflammation, spermatorrhée, impuissance, éruption cutanée, rhumatisme obstiné, érection fréquente, quelquefois presque continuelle et douloureuse ; distorsions, tension et déchirure des tissus délicats du canal urinaire qui provoque le rétrécissement urinaire.
Précedent (27) ... Suivant (29)