Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.3

Mais dès 1986, l'American Sociological Association crée une section intitulée Sociology of Emotions Section. En 1989, une étude de Peggy A. Thoits (2) résume les recherches tant empiriques que théoriques concernant la sociologie des émotions et les lacunes dans les connaissances actuelles : ignorance des expériences émotionnelles dans les populations, le contenu de telle culture d'émotion, les processus de socialisation émotionnelle, les interactions entre la structure sociale et les normes d'émotion.

Une fois la variabilité historique et culturelle admise, il en découle que les expériences subjectives, les émotions sont en même temps socialement acquises et structurées, que l'on admette l'existence d'émotions de base universelles modulées par telle situation structurelle et sociale, ou bien l'inexistence de modèles universels des composantes physiologiques, expressives et situationnelles de l'émotion.

Si la honte n'est guère objet de recherches en sciences humaines en France, c'est que l'ombre du fameux livre de Ruth Benedict publié en 1946 (3) qui classe les sociétés en sociétés de honte et sociétés de culpabilité, plane encore aujourd'hui sur le sujet. Il y a peu, aucun travail traitant du sujet ne pouvait commencer par l'évocation de la fameuse distinction devenue toutefois caduque à l'heure actuelle, bien que des études traitant des « sociétés de honte et des sociétés de culpabilité » continuent toujours à voir le jour !

Selon cette distinction archiconnue, les sociétés occidentales sont des cultures dans lesquelles les individus sont guidés par un sentiment de culpabilité intériorisé de responsabilité, alors que dans d'autres cultures, telle la société japonaise, ce ne sont pas des normes morales de culpabilité intériorisées qui les dirigent, mais des règles de conduite extérieures invisibles édictées par la société, lesquelles, enfreintes, sont frappées du verdict de la honte.

Une étude de Marilyn Ivy (4) résume le contenu, le contexte historique de l'ouvrage de Benedict et ses répercussions au Japon à l'époque. Ruth Benedict, dès 1934, année où son livre Patterns of culture fut publié, avait imaginé les cultures comme des unités holistiques ayant des modèles esthétiques et moraux prédominants. Elle reformule ces idées dans The chrysanthemum and the sword publié opportunément après la fin de la guerre, issu d'un contrat avec l'United States Office of War Information et basé sur des interviews avec des prisonniers japonais et des Japonais américains. Le livre avait présenté le Japon comme une « culture de la

honte » pour la délectation de l'Amérique. Benedict n'était jamais allée au Japon. Son but était de montrer la supériorité morale du vainqueur sur le vaincu.


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