Ce qui prouve par ailleurs que nous sommes vraiment le sexe faible, c'est notre situation économique et juridique dans la société. ( Sous-entendu : nous ne serions pas dans cette situation d'indignité si nous n'étions pas vraiment indignes). « Sans doute, les lois et les civilisations, œuvres de l'homme, ont mis comme on dit « du côté de la barbe la toute-puissance ». Théoriquement, l'épouse est dans la main du mari qui est le chef de famille ; elle est soumise à l'homme qui jouit de tous les privilèges. Les raisins seraient-ils trop verts ? La baronne O les lui envierait-elle ? Mais non ; elle nous rassure : nous n'envions pas à l'homme sa condition de gardien de nos libertés. Encourageons-le seulement à restreindre le moins possible ces mêmes libertés et nous traiter avec justice et mansuétude. Notre état de faiblesse vis-à-vis de l'homme ne doit pas nous inquiéter. Pourquoi ? Parce que notre vie est une carrière d'amour ; nous sommes un merveilleux instrument d'amour et nous devons nous y résigner.
Mais il n'y a pas que la faiblesse de notre cerveau qui nous handicape. Nous sommes des êtres fragiles et maladifs. ( Il faut mentionner ici, à l'avantage de la Baronne Orchamps, que bien qu'elle souligne notre constitution physique assez misérable, son appréciation est loin de l'opinion générale qui prévaut à l'époque – comme nous l'avons vu plus haut – et qui considère la femme, avec de Vigny, « la femme, enfant malade et douze fois impur », dépendant entièrement de son utérus qui l'envahit, luttant contre la puberté, la chlorose, la grossesse, l'accouchement, les pertes, la ménopause et surtout la neurasthénie. Mais elle ne peut se retenir pour dire quelques mots quand-même de l'étrange fragilité de notre organisme. Nous vivons perpétuellement entre deux malaises ( à savoir entre deux règles).
On aborde à présent de plus près la nature féminine. Nous sommes mystérieuses. La femme est un mystère insondable ; pourtant, un coin du voile de ce mystère écarté, apparaîtra notre extrême sensibilité. La femme est comme un luth frémissant qui résonne à tous les contacts. Ses réactions sont imprévisibles, on ne peut discuter des raisons de son cœur ; telle jolie femme pourrait-elle être blâmée de s'être accouplée à un être difforme, à un bossu ? N'a-t-elle pas cédé, en fixant ainsi son choix, à un pressentiment d'idéal ? (?).
Ce qui est surtout mystérieux et imprévisible dans la femme, ce qui constitue son mystère, ce sont les raisons qui font qu'elle se rend à l'homme, ainsi que le choix et le moment de sa reddition. Elle veut se donner, se soumettre au maître, mais son intention reste un secret.
Rejoignant de très près l'idée du mystère imprévisible, surgit l'idée du caractère capricieux de la femme, toujours régie par l'émotion, « le coeur ». Nous sommes sensibles, enthousiastes, nous aimons les poésies de la douleur amoureuse, certains rêves. C'est pourquoi nous aimons Racine, de Musset, Verlaine, Baudelaire, Juliette (de Shakespeare ), Bérénice, Béatrice ( de Dante), le théâtre de Dumas fils, Paul Bourget, Marcel Prévost, Gounod et Massenet ! (Gare à celles qui ont d'autres goûts – ce n'est pas l'auteur qui le dit). Nous sommes en même temps très capricieuses ; nous avons une imagination primesautière. Ceci n'est pas un grand inconvénient : les hommes ne nous en veulent pas, sauf caprices démesurés sans égard pour leur dignité. ( Quant à notre dignité à nous, dans toute cette histoire, où est-elle?) Il ne faut donc surtout pas que nous nous considérions comme des incomprises vraiment à plaindre lorsque le maître n'adhère pas sur le champ à nos desseins ( sous-entendu : fantasques et enfantins).
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