Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.45

Cette créature animale qui ne désire que plaire – et voici l'innovation par rapport à l'image traditionnelle de la femme mariée – est naturellement sensuelle et lascive. Elle est capable de tout sacrifier lorsque « l'ardeur effrénée de sa chair » l'emporte : mais elle est également capable de cacher entièrement son secret. La Parisienne, raffinée, a des dons particuliers pour masquer sa véritable nature : « son sourire est discret mais suave, exprimant tout à la fois de l'ironie, de scepticisme, mais aussi des ivresses ». L'auteur condamne, de toute manière, l'amour platonique, car « il est malsain aux natures ardentes qu'il entraîne souvent aux langueurs morbides, aux sombres neurasthénies. »

Comment cette femme, vierge jusqu'à son mariage – loi non écrite à l'époque – manifestera sa lascivité  et sa séduction d'après la Baronne d'Orchamps ? Elle se montre à l'opposé de la femme fatale qui vit une renaissance en cette fin de siècle aussi bien dans les arts plastiques – tels les préraphaélites – qu'en littérature : ne citons pour l'exemple que Mme de Burne dans Notre cœur deMaupassant (1889) ou La femme et le pantin de Pierre Louys (1898) dont la transposition au cinéma donnera plus tard la vamp dans L'ange bleu avec Marlène Dietrich. La femme fatale est certes séductrice mais également destructrice et dominatrice. A l'inverse de celle-ci, la femme décrite par la Baronne d'Orchamps utilise sa séduction pour s'attacher et garder son mari. Sa qualité essentielle est celle de l'allumeuse, de la fascinatrice, mais elle est discrète ; elle manœuvre sans cesse par sa coquetterie pour cacher précisément cette qualité, pour ensorceler les hommes en douceur. En fin de compte : à elle la soumission, au mari la domination.

Par exemple, rien n'égale le pouvoir voluptueux des dessous féminins. Nous avons toutes eu l'expérience d'avoir « bénéficié de cet effet stupéfiant produit sur l'imagination du maître adoré par le soudain débordement du flot indiscret, pétulant et si bavard... de nos mousselines soyeuses sous l'étoffe unie d'une petite robe bien simple. Une inéluctable griserie envahit le cerveau masculin ».

L'auteur appelle la femme fatale « l'amoureuse redoutable «  (100)  : on peut deviner ses intentions ; elle est comme une prostituée. Son visage est trop rond. Ses cheveux sont généralement ramenés en avant, le front étroit et plat disparaît. Les tempes présentent de légères concavités. Les yeux, à fleur de visage, ont des reflets grisâtres et les paupières striées ont des battements rapides. Elle a des cernes bistrées ( ces mêmes yeux cernés qui apparaissent dans tous les livres d'hygiène sexuelle de l'époque comme des signes traîtres de la masturbation, de la débauche, de la mauvaise vie ) et le regard a un trait perfide. Son nez est incurvé, aux ailes épaisses et mobiles ; les sourcils se touchent. ( C'est presque une sorcière!) Sa lèvre inférieure, très volumineuse, se replie grossièrement en bourrelet au-dessus menton légèrement saillant. Elle a un caractère effronté et arrogant.


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