Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.47

Voici par exemple, pour illustrer la tactique amoureuse, la question des lits. Faut-il choisir un lit unique ou faire chambre séparée ? Chaque solution a ses avantages et ses inconvénients, car « le lit commun dépouille le désir de l'époux de tout cérémonial, en remplaçant souvent les paroles par les gestes qui vont de la simple caresse à la prise de corps autorisée... La communauté de lit nous rend donc plus faciles à posséder et souvent possédées ». Mais si les époux font chambre à part, cela risque de faire durer les querelles.

Qui et quand a donc inventé ce discours qui représente les rapports des sexes comme une guerre ou le héros vainqueur est l'homme ? Qui a inventé que la femme était une forteresse à assiéger, à prendre d'assaut ? La femme se donne, se rend, s'offre, fait aveu, s'avoue vaincue , est prise, possédée... L'homme attaque : «  Ne révélez pas plus le charme de vos rêves que le nombre d'assauts qui interrompent vos sommeils », souvent par la force ; il viole, prend, il vainc... La Baronne d'Orchamps n'est pas l'inventeur de ces images dont quelques-unes sont très anciennes, mais elle et d'autres auteurs de son époque les ont amplifiées et déformées à l'extrême. Car on est en droit de se poser les questions : en quoi consiste la victoire de l'homme ? Elle consiste en ce qu'il a obtenu des rapports sexuels avec une femme, la sienne de surcroît, et cette « possession » est tout à son honneur ; la défaite de la femme consistera en ce qu'elle s'est laissée faire, en ce qu'elle s'est soumise à l'homme pour un acte qui est autant désiré par elle que par l'homme. Pourtant, si l'acte sexuel a « réussi » au lieu d'échouer, c'est porté à son crédit, c'est son mérite : c'est grâce à son attitude, mélange de provocation et de soumission, que le succès est survenu et que l'homme a pu triompher.

La qualité principale de l'homme, dans ce livre, est la force. Rien qu'à regarder son corps, une force orgueilleuse s'en dégage : il fortement architecturé et puissamment musclé. De plus, l'homme est doué d'un esprit subtil qui promet des sensations inéprouvées. En effet, il n'y a pas de jour dans la vie de l'homme que l'image de la femme ne se présente à son imagination. Cela ne signifie pas que son désir sensuel est permanent, il veut plutôt éprouver son pouvoir de domination : « Ce n'est souvent que le désir de nous procurer un instant de béatitude et de savourer comme un triomphe un plaisir de nous voir sous l'effleurement magique défaillir de volupté ».

Car son honneur, plutôt que de vaincre une femme dans la guerre des sexes comme il nous semblait fugitivement tout à l'heure – consiste à la combler sexuellement en lui imposant l'extase, tout en ne perdant pas sa maîtrise de soi ( vieille idée que Foucault décrit magistralement dans L'usage des plaisirs (101); consacré au monde grec, où le premier commandement de l'homme dominant est de se dominer soi-même.


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