Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.52

Pour entretenir le corps, une toilette corporelle méthodique est recommandée – tellement « méthodique », que son exécution est un programme pour la vie entière. Ne citons que les mouvements de la bouche devant le miroir : « Répétez, en vous observant dans la glace, les mots dont vous désirez tirer un effet particulier. Il est des paroles dont la prononciation seule rend particulièrement gracieux les mouvements de la bouche ». De la tête jusqu'au pied, aucun centimètre carré de ce corps-objet, instrument de volupté, n'est omis. Conseils d'ablutions, de protection, d'un minutie exaspérante, qui défilent, du pied, de la jambe, de la cuisse, de la bouche, de la gorge, de la poitrine, des seins... L'énumération de ces organes se poursuit inexorablement dans une sorte d'incantation magique, un poème épique, qui, eussions-nous vécu à l'époque, nous eût certainement rempli d'angoisse, de terreur incommensurable : comment se conformer à toutes ces prescriptions, à rester au diapason, comme par exemple dans ce poème involontaire et désespéré que composent les sous-titres du chapitre « Le langage des seins » :

« Le langage des seins

mamelon rose, apparent

seins fermes et blancs

seins mous et fléchissants

seins tout petits

toilette et hygiène

pour maintenir leur fermeté

pour obvier à leur chute

pour augmenter leur volume

pour diminuer leur volume

pour faire disparaître les salières

contre les gerçures ».



Lorsque le corps nu a été ainsi traité et que poudres, pâtes, élixirs, crèmes, cosmétiques ont été recommandés, vient le tour des règles de l'habillement, du nombre époustouflant de

chapeaux, de manteaux, de pantalons, de vêtements et de sous-vêtements qu'il faut posséder et entretenir avec un soin quasi religieux. Voici le chapeau, panache de la femme, dont on doit posséder deux par saison et quatre par an. De nouveau, cela donne l'impression d'un poème involontaire et désespéré :

« Si le vent

ou un heurt

ont froissé leur garniture

rendez-le en prenant délicatement du bout des doigts

leur position première.

Servez-vous d'une brosse

extrêmement fine et molle

pour enlever la poussière.

Il ne faut pas tenir les chapeaux

hors de la boîte

jamais

jamais sans papier de soie dans la boîte.

Il faut étendre une serviette fine

sur la boîte ouverte

avant de mettre le couvercle

resserrez les pétales de fleurs

en les rassemblant d'abord

dans la paume de la main pour les arrondir ensuite

tout en les relevant.

Il vous suffira alors

lorsque la fleur sera relevée

de souffler légèrement dessus

pour qu'elle reprenne sa forme

gracieuse. »




Précedent (51) ... Suivant (53)