L'intérêt de ces détails plus que minutieux réside dans leur caractère inépuisable, comme les tonneaux des Danaïdes sans fond, que celles-ci doivent sans cesse remplir jusqu'à la fin des temps : jamais « nous »ne serons assez belles et séduisantes, car la plus belle femme ne pourra jamais se sentir à l'abri d'un quelconque petit défaut physique, fût-il minuscule jusqu'à être invisible. Il est littéralement impossible de satisfaire à toutes les exigences de la parure telles que le raffinement bourgeois les a créées dans une infinité de détails à la fin du siècle.
Toutes ces descriptions de la femme telle qu'elle apparaît dans la vision de l'auteur (est-elle franche ? est-elle feinte?), ces « secrets » révélés, ces conseils prodigués pour être désirable, servent en dernière analyse à consolider, cimenter, rafistoler l'institution – soumise à rude épreuve ? - du mariage. Certes, l'auteur manifeste une complaisance quasi exhibitionniste pour son sujet ; n'empêche qu'elle avait probablement la défense du mariage en tête en écrivant son livre.
Ce mariage est tout l'horizon, tout l'avenir de la vie de la femme... Se marie-t-on par amour de nos jours ? demande l'auteur. On se marie plutôt comme on peut – on appelle cela « mariage de raison », mais peut-on vraiment l'appeler ainsi lorsque « à cette heure-là même votre père a refermé son coffre-fort et votre mère sanglote de félicité émue.(...) Vous avez eu une grosse dot et Lui, votre maître, ne possède rien ? Peu importe. La délicatesse avec laquelle votre opulence accueille sa médiocrité est une raison de plus qu'il vous apprécie et vous adore davantage ; seulement soyez délicate (…) n'oubliez pas que l'argent ne concerne que l'homme, quel que soit le régime sous lequel vous vivez. ( …) Il est écrit que toute votre vie vous devez rester en tutelle pour les intérêts ». La femme ne doit donc jamais s'occuper des finances du ménage – même si quelque entreprise de son mari l'inquiétait, elle doit réprimer son angoisse et présenter ses arguments gentiment, jamais comme des arguments – comme une sorte de témoignage de son grand désir de le voir réussir.
Premier commandement : s'abstenir de toucher aux leviers économiques du ménage, fût-ce la femme qui eût apporté toute la fortune. Le deuxième commandement fut déjà présent dans la (feinte) lutte de la « guerre des sexes » : se laisser faire physiquement, jouer à l'allumeuse, se conformer au désir du mari et se garder désirable jusqu'à un âge avancé pour servir son plaisir le plus longtemps possible ; rester fidèle, mais lui pardonner ses infidélités, car elles ne sont pas comme celles de sa femme : dues à sa constitution physique et non à sa tête, elles sont donc sans signification. L'épouse accédera pourtant à l'intimité conjugale qui consistera à vouer une sincérité absolue au mari sans que celui-ci soit tenu à observer la même sincérité vis-à-vis de sa femme. Cette intimité ne se forme que petit à petit, car les premiers jours, malgré tout, la délicatesse de la femme s'alarmait lorsque son mari s'avisait de lui communiquer la sagesse de son expérience ( comprendre : sexuelle). Nerveusement, malgré toute la tendresse de l'initiateur, elle ne pouvait se défendre de proférer de pudiques onomatopées... Mais cette période doit laisser la place à la confiance totale de la femme en son mari et tout lui dire de sa santé, comme s'il était le médecin de famille.
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