Enfin, le troisième commandement concerne le rôle de la femme à l'intérieur du foyer, lequel est celui de la maîtresse de maison, la fée du logis, du nettoyage, rôle par lequel la petite créature faillible peut ajouter sa touche personnelle à l'aspect harmonieux de la maison, jouer à la décoratrice, afin que la chaude présence de la petite fée du logis se manifeste pour le spectateur rien qu'en jetant un coup d'oeil à son intérieur. La femme, à qui il est recommandé de traîner en robe de chambre à la maison comme un malade, dès qu'elle rentre de la rue, devra donc s'adonner au lavage, au nettoyage, la purification sans trêve ; ces croisades de nettoyage et de propreté, avec leurs cohortes de pommades, lotions, cires, crèmes, s'adressent non seulement au corps de la femme, mais aux meubles, aux vêtements, aux murs, elles soulignent en fait le rôle de la femme en tant qu'héritière de l'obligation de purifier : il s'agit là non de propreté, mais de pureté – non seulement pour elle, mais pour tous les membres du foyer.
Lorsqu'on considère dans son ensemble l'image de la femme que présente ce livre, on ne peut pas ne pas être frappé par le nombre de contradictions et d'incohérences dont il est truffé.
Ce livre montre une guerre où les deux adversaires ont des armes et luttent farouchement l'un contre l'autre – mais a-t-on jamais vu guerre où les rapports de forces sont décrétés aussi inégaux dès le départ, où l'une des parties s'avoue vaincue à l'avance ? Selon l'auteur, la femme doit réussir dans cette œuvre qu'elle-même appelle contradictoire, de « domination par la faiblesse », par la séduction strictement sexuelle – afin que le conquérant soit à nos pieds ! Est-il à nos pieds s'il est le conquérant ? Qu'a-t-il conquis si nous nous sommes « données » volontairement ? Quand avons-nous perdu, quand avons-nous gagné ? Nous devons toujours « céder » au mari et le laisser agir pour accomplir ses désirs ( qui ne sont donc pas les nôtres?) mais en même temps « l'image féminine telle qu'elle se présente, obsédante et dominatrice, à l'imagination de l'homme, correspond fidèlement à la réalité de cette créature au charme trouble (…) dont aussi la toute-puissance est inéluctable ». Or, dans cette belle œuvre de domination que nous accomplissons, sans cesse on nous exhorte à oublier notre dignité et notre orgueil – autrement dit s'installer dans l'état honteux. Nous ne devons pas être des héroïnes et étendre notre rôle au-delà de ses limites naturelles ; nous avons assez à faire pour maintenir et prolonger une œuvre de séduction. C'est à ce soin que nous devons appliquer tout notre orgueil. La dignité de notre sexe consiste à « n'être vaincues que par la force ». Serions-nous donc entièrement dépourvues nous-mêmes de cette force mystérieuse qui émane de l'homme ? C'est par le charme seul que nous devons dominer : la domination par la dignité est-elle donc opposée à la domination par le charme ?
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