Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.55

L'idée de cette « lutte » entre l'homme et la femme, où les armes du premier sont l'orgueil, la force (physique et morale), la raison, la maîtrise de soi et last but not least, les lois, alors que la seconde riposte en subjuguant l'autre sexuellement, (afin qu'il la « prenne »!) vise à donner des apparences d'égalité aux rapports de force dans le couple. Mais qui peut y croire un instant, lorsque par moments on nous assène des vérités telles que « nous avons beau jeu à trouver ridicule ou même odieux le rôle de l'homme qui vient ainsi s'emparer de notre innocence sous prétexte que la loi nous a livrées à lui » ou « Attention, car l'homme fort, puissamment musclé, type idéal de la mâle vigueur (…) peut être luxurieux, infidèle, hypocrite et bourreau ». Nous ne devons pas imposer à l'homme nos petites tyrannies, car il est dans sa nature de se venger et ses vengeances sont pour nous très humiliantes. ( Nous possédons donc, nous aussi, notre amour-propre?)

Finalement, les incohérences submergent et envahissent le tableau. La femme est moins sensuelle en amour que l'homme qui ne pense qu'à ça tous les jours – mais en même temps elle est terriblement lascive. Elle ne pense qu'à l'amour romantique, elle ne fait que rêver de l'amour, mais pendant ce temps elle est aussi la fée du logis tout en embellissant son masque par un travail digne d'un forçat qui occupe absolument tous ses instants.

Elle n'est pas une femme fatale, mais elle est une allumeuse fascinante et voluptueuse, innocente, chaste et pudique à la fois. Elle se marie par amour, mais aussi par intérêt. Elle gagne tout en perdant. Elle séduit pour être « prise ». Elle voltige comme un papillon, mais elle vit sournoisement dans l'humiliation. Enfin : l'amour romantique, le Grand Amour, subsiste dans le mariage – pour toute la vie !

De ces contradictions, il ressort quand-même une conclusion : la femme semble profondément malheureuse, piètre dominatrice qui doit céder en tout ; incomprise et solitaire, elle ne peut se confier à son mari malgré toutes les exhortations, car elle doit garder toujours garder son masque devant lui. L'abdication totale de sa vraie personnalité la martyrise dans le mariage, seule mode d'existence qui lui est autorisée – mais elle doit s'y résigner, s'adapter, utiliser au maximum ses ressources amoureuses, jouer au mieux son rôle. Pour quelle raison ce rôle lui a-t-il été distribué, c'est la question à la quelle nulle réponse n'est donnée dans ce livre. Mais on ne peut comprendre ses mobiles sans le replacer dans le contexte où il a été écrit ; il reçoit alors un tout autre éclairage.

1907, l'année de la parution du livre : un autre livre parut cette année même, de la plume d'un jeune homme critique littéraire à l'époque. Il s'appelle Léon Blum et le livre s'intitule « Du mariage ». L'auteur s'y insurge avec une véhémence qui n'a d'égale que dans le livre écrit quelques vingt ans plus tôt par Tolstoï dans La sonate à Kreutzer contre l'institution barbare dans les pays civilisés où l'on jette au cours de la nuit de noces des vierges apeurées sans aucune expérience sexuelle préalable dans les bras d'hommes qui n'ont connu jusqu'alors que l'école des prostituées. Léon Blum y préconise sa solution : chacun de son côté, homme et femme, devrait vivre librement, c'est-à-dire en pratiquant l'amour libre, en changeant de partenaires, jusqu'à l'âge de trente ans environ. A ce moment-là, le temps de fonder un foyer stable est advenu pour pouvoir élever convenablement les enfants. Le livre fit scandale à l'époque.


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