LES PAUVRES .
Il va de soi que l'étude de la condition ouvrière et de la condition des pauvres au début du 20ème siècle dépasserait largement les limites que nous nous sommes assignées dans ce travail ; cette condition étant, avant tout toute chose, une condition honteuse, c'est cet aspect-là que nous tâcherons de faire ressortir par quelques évocations d'ouvrages d'époque. Toutefois, il importe, avant de le faire, d'esquisser en quelques mots la situation légale des ouvriers.
« Les prolétaires, en ce temps-là, ont souvent été qualifiés de rebut de la société, de « classes dangereuses », de parias (…) Ceux qui étudiaient leur conditions, disaient au début du vingtième siècle encore que « sans exagération », les droits qu'avaient sur eux les employeurs étaient plus lourds que ceux des seigneurs féodaux sur leurs serfs au Moyen Age (…) La Révolution Française avait peu fait pour le travailleur : il avait acquis le droit d'exercer le métier de son choix, les corporations étaient abolies – mais ce droit était assujetti à d'importantes et humiliantes restrictions. L'ouvrier devait posséder un livret-certificat comportant son nom, son signalement et son lieu de travail. Il n'avait pas le droit de changer d'emploi tant que son patron ne certifiait pas qu'il était libre de toute dette et obligation envers lui. Comme il était très courant pour les travailleurs de recevoir de leurs employeurs des avances dans les temps difficiles, des maîtres sans scrupule pouvaient effectivement les empêcher de changer d'emploi. Si l'employeur était d'accord pour le laisser partir, il pouvait porter le montant de la dette sur le livret et l'employeur suivant était tenu de lui rembourser cette somme en plusieurs versements en retenant une partie du salaire de l'employé. (154).
Le Code Civil a pratiquement exclu les situations ouvriers-employeurs de ses dispositions. Il ne contenait que deux articles relatifs à ces situations. Le second des articles, l'article 1781 ( qui stipulait qu'en cas de conflit sur le salaire, la parole du maître devait, en l'absence de documents écrits, l'emporter sur celle de l'employé) fut abrogé en 1868, mais les ouvriers continuaient à se plaindre d'être traités en inférieurs ou d 'être complètement ignorés du Code Civil.
L'employeur, lui, disposait d'un Conseil des Prud'hommes (dans lequel on ne pouvait élire des femmes, et où les ouvriers étaient en très nette minorité) ; de chambres de commerce ; d'autres associations ; de syndicats. L'ouvrier ne pouvait faire partie d'aucune association professionnelle. Il est vrai qu'en 1864 lui fut accordé le droit de grève ( seulement la grève paisible ), sans avoir le droit de se syndiquer, mais après la Commune ce droit fut retiré. En 1884, il redevint légal avec de très importantes restrictions : il fallait déclarer la grève à la mairie ; elle ne devait pas être « de nature politique » ; elle était interdite pour les fonctionnaires ; en 1890, une loi est promulguée dans laquelle il est dit que si la raison du licenciement est l'appartenance à un syndicat, le licencié peut réclamer des dommages et intérêts ; mais comment prouver la cause du licenciement ?
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