Toutefois, la lutte des classes s'amplifie, il y a agitation et la révolution russe de 1905 fait sentir ses effets. Des grèves éclatent un peu partout en France, contre lesquelles sont déployées les troupes. Des gens qui distribuent des brochures antimilitaristes sont arrêtés. Des précautions d'une ampleur jamais vue sont prises à la veille du premier Mai 1906 à Paris contre le défilé du premier Mai : 50 000 hommes – dragons, hussards, cuirassiers, chasseurs, infanterie – occupent les rues de Paris : la rue de la Paix, le quartier Opéra, sont occupés militairement, au Palais de Justice, toutes les issues sont fermées.
La Gazette des Tribunaux (2-3 Mai 1906) écrit :
« Il apparaît que le premier Mai s'est bien passé. Mais un lieutenant au 5° d'infanterie, M. Tisserand-Delange, a déposé sur le tribunal ses armes et déclaré que s'il recevait l'ordre de faire tirer, il n'obéirait pas à ses chefs. Il a été immédiatement écroué à la prison de la rue de Cherche-Midi. Vers une heure, sur les principales places, carrefours, grandes voies, les troupes ont pris place. Il y a eu de l'agitation dans le 10ème et le 11ème arrondissement, à la Bourse de travail, à République. De nombreuses violentes bagarres ont eu lieu, des jets de pierre contre des agents qui sont là revolver au poing. 1200 arrestations ont été opérées, dont 674 maintenues (…) Le lendemain tous les arrêtés ont été interrogés. La plupart sont très jeunes. Les peines varient de 48 heures à 8 mois de prison ».
Mais l'agitation, les grèves, restent des phénomènes de surface : l'ouvrier de la Belle Epoque, qui vit dans la misère, l'insécurité et souvent le chômage, vit surtout dans la résignation.
Jacques Valdour (155 n) raconte son voyage non point à la recherche du temps perdu, mais à la recherche du travail. Le premier point d'arrêt de son errance est Vierzon où il arrive dimanche à midi et va tout de suite à la messe, pour avoir des renseignements ; mais il en sort déçu, car l'église est bondée de commerçants et de bourgeois, mais vide d'ouvriers. Il en trouve le soir sur une place du faubourg parmi les tirs, loteries, chevaux de bois où l'on tient un bal qui dure jusqu'à minuit. L'homme rencontré est un sans-travail, un cultivateur qui veut s'embaucher pour la moisson. Passant devant le Grand Hotel du Boeuf, il dit : « On doit être bien servi là-dedans, mais c'est cher ». Notre auteur déjeune avec deux sous de pain et deux sous de charcuterie. Il couchera ce soir dans une grange.
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