L'étape suivante est Montluçon. Dans un café, quelqu'un est en train de boire et parle ainsi « Y a trop de bras, pas assez de travail (…) Alors quoi, La charité ? Moi j'demande qu'à travailler pour manger. Mais j'ne veux rien de personne. On a sa dignité. La charité humilie. » On dit à notre héros qu'il 'y a pas d'embauche ici, sauf une possibilité de décharger des bateaux de pierres... ou, peut-être, à 60 km d'ici, on construit un viaduc, mais c'est un travail très dur, il faut travailler avec des cheminots, coucher dans des cabanons. A la bourse du travail on lui offre du secours, mais non travail, à condition qu'il soit syndiqué, sinon, il ne peut avoir que des bons de fourneau économique à la mairie. Mais il refuse, il veut du travail. Mais c'est une proie qui se fait rare, il y a une sélection entre les demandeurs de travail : les professionnels syndiqués et les indigènes d'abord ; celui qui n'est pas syndiqué, n'appartient pas à l'élite ouvrière. Les ouvriers sans profession n'ont le droit à aucune considération. Ils ont leurs patriciens et leurs plébéiens ; on méprise les nomades qui sont à la recherche du travail, on n'estime que les sédentaires. Valdour ne trouve du travail ni dans la verrerie, ni dans la brasserie, ni dans la métallurgie. De Montluçon il va à Commentry où ils se retrouvent soixante pour un travail où on demande trois plongeurs. Enfin, il est presque embauché dans une mine, où il devrait remplir trente bennes par jour ; mais on lui demande s'il a un livret, et sur sa réponse négative on refuse de l'embaucher ( pourtant, cette loi est abrogée depuis 25 ans). Cette errance commence à lui apparaître comme horrible. A Roanne, il est embauché comme apprenti-tisserand : il y a là un hall avec 600 métiers, 300 tisseurs et tisseuses. Un bruit assourdissant règne à l'atelier ; on va aux WC toutes les deux heures pour vingt minutes ; on s'assoit sur les talons, on fume la pipe, la chique, le tabac. Lorsqu'on casse des fils et que le métier n'est pas arrêté assez vite, la première fois la sanction consiste à « nous faire de la morale » mais la seconde fois le coupable est mis à la porte... Il parle avec les ouvriers ; entre temps ils ont déjà bu quatre litres de vin. « Mon père, dit l'un, boit sept litres par jour et chique pour trente sous de tabac par semaine ». Puis il est question des gens qui ont de la
mémoire : « C'est parce qu'ils étudient ! Moi, en dehors du métier, je ne me souviens de rien ; je ne serais pas fichu de dire ce que j'ai fait depuis dix ans! » « Moi aussi (…) en dehors de mon travail, je ne me rappelle de rien. Une chose chasse l'autre, conclut le troisième. Eh ! oui, ; l'ouvrier est comme ça ».
Les ouvriers mangent très peu de viande ; ils consomment des légumes, des pommes de terre, des haricots. A Roanne, l'auteur est ouvrier teinturier : « Les hommes payés à la journée et non à la tâche, font le moins possible ». Le chef d'équipe sacre et hurle. On lui tient tête quelquefois... on grogne entre les dents derrière son dos. Il est brutal, mais cela a des raisons : on l'avait traité lui-même ainsi ; il est investi d'une parcelle d'autorité.
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