Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.8

L'Abbé Lafond et Paul Doumer chargent d'un lourd fardeau ceux qui sont nés dans les classes privilégiées : ils doivent être ambitieux de s'élever ; point de salut pour eux en dehors de cette élévation ; leur honneur consiste à se conformer à ce devoir de distinction. Gare à ceux qui perdent leur honneur car, à l'inverse de l'histoire de la Madeleine à qui le Christ avait pardonné ses péchés, le péché de la perte d'honneur est irréparable, sinon par la mort. Ceux auxquels ce discours est destiné doivent s'élever, se maintenir en haut ( doivent-ils planer en permanence? car la chute, comme pour Icare, est mortelle...).

A quoi correspondent ces hauteurs, cette élévation : qu'est-ce qui définit le haut, qu'est-ce qui définit le bas ? La réponse va de soi : Dieu habite des hauteurs célestes, les hommes doivent s'élever vers lui par l'ascension de la pyramide sociale, vers les hauteurs de la domination : les rois montent toujours sur des trônes qui les élève au-dessus des autres.





L'HONNEUR « CHEVALERESQUE .

Schopenhauer (13) consacre un chapitre à « Sur ce qu'on est aux yeux d'autrui » : il est misérable de tenir compte de l'opinion des autres quand l'essentiel est ce que nous sommes par nous-mêmes ; mais l'honneur, objectivement, est l'opinion des autres sur notre propre valeur, et subjectivement il est notre crainte de cette opinion. Schopenhauer divise l'honneur en trois parties : l'honneur bourgeois, l'honneur de fonction et l'honneur sexuel. Or, depuis le Moyen Age, a fait apparition « l'honneur chevaleresque » ou le « point d'honneur », qui est une chose aberrante, non naturelle. Jadis, lorsqu'on recevait des coups, on ne les rendait pas toujours : et de citer Socrate, qui, lorsqu'un âne lui donna un coup de pied, ne réagit pas. Or, aujourd'hui, « l'honneur chevaleresque » ne peut être réparé que par le duel. Le principe qui le sous-tend est le suivant : « Comme être diffamé est une honte, diffamer est un honneur. (…) L'instance suprême de la justice, à laquelle dans des affaires d'honneur au-delà de toutes les instances on peut faire appel, est celle de la force physique ».

Selon Schopenhauer, l'honneur chevaleresque naquit au Moyen Age en même temps que les ordalies, les jugements de Dieu. Tous les jugements pouvaient alors faire l'objet d'un appel au duel comme instance suprême. C'est par la force physique que le gagnant du duel vainc son adversaire et sa victoire prouve en même temps qu'il est innocent ou qu'il a raison dans le différend avec l'autre. Schopenhauer pense que la preuve de l'innocence par le combat est une invention européenne et qu'ailleurs les coups ne sont nullement liés à l'honneur. Néanmoins, se venger des coups par des coups et rétablir ainsi l'honneur compromis, peut être considéré comme universel, même si les codes d'honneur varient.


Précedent (7) ... Suivant (9)