Mais l'idée d'« honneur chevaleresque » évoquée par Schopenhauer ne s'épuise pas dans l'affirmation et le triomphe de la force physique dans une relation duelle entre deux hommes ou deux armées. Il s'y ajoute un élément dont l'importance dépasse celle de la suprématie de la force physique : l'honorabilité consiste précisément à faire partie d'un groupe qui a le droit de rétablir son honneur en rendant les coups – mais seulement à ceux qui sont aussi honorables qu'eux-mêmes ; c'est pourquoi Socrate n'a pas rendu le coup de pied à l'âne ; c'est pourquoi en 1900, l'honneur est non seulement masculin, mais un privilège de classe comme par le passé, : les esclaves, les femmes, les enfants, les classes opprimées jamais dans nulle société n'avaient possédé ce privilège.(13) ) L'honneur chevaleresque est l'apanage des hommes. Il est vrai qu'une femme peut être honorable par la virginité, le mariage ou la maternité, mais ce sont des honneurs inhérents à des états, à des statuts ; aucune action dans la société ne lui procurera de l'honneur puisque aucun champ d'action, ni aucune possibilité de défi ou de riposte ne lui sont réservés. L'honneur masculin est une morale exclusive distributrice de dignités dans l'inégalité.(14))
Il y eut une personne à l'époque qui possédait le droit, au nom de l'honneur chevaleresque, de répondre au défi – à l'accusation lancée contre lui – mais qui en fut privé pour dix longues années, jugé, déporté et emprisonné pendant ce temps – ce fut le Capitaine Dreyfus, par ailleurs officier de haut rang et bourgeois respectable – mais juif. Il avait donc beau être émancipé, jouant parfaitement le jeu social ; il appartenait à l'un des groupes sociaux dont la particularité avait été précisément la condition de « paria » - de vivre dans le déshonneur. Lors de la seconde révision de l'affaire Dreyfus, le 13 juin 1906 (15) , au cours de la première audience publique Maître Mornand, avocat de Dreyfus, dit au début de sa plaidoirie : « mais la volonté de Dreyfus est inébranlable. Ce n'est pas une indemnité qu'il réclame, c'est son honneur d'officier ».
En 1900, les affaires de diffamation et de la défense de l'honneur sont quotidiennes, ainsi qu'en témoignent les journaux de l'époque.
Les tribunaux de Blois ont eu à juger l'affaire suivante :
« X., propriétaire à Bordeaux, soi-disant disait du mal de Z., lieutenant et chasseur. Ce dernier voulait avoir un duel, X. le refusait et a déclaré en trois lettres aux témoins qu'il ne voulait pas, car Z. n'est pas honnête, etc. Z. veut 25 000 F de dommages et intérêts, mais celui lui est refusé, car il ne s'agit pas de diffamation publique. »(16)
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