Les ouvriers qui ne sont pas au chômage, doivent se soumettre à une discipline draconienne qui restreint totalement leur liberté de mouvements. Les chefs d'entreprise opèrent souvent des retenues sur leurs salaires « à titre disciplinaire ». Bien que ces retenues ne soient pas entièrement légales ( il n'y a qu'une jurisprudence pour trancher les affaires litigineuses ), elles sont très fréquentes. Par exemple, la Cour de cassation a cassé l'appel d'une ouvrière, qui est entrée dans l'atelier de ses employeurs avec des sabots et qui a été
condamnée par ces mêmes employeurs à 10 F d'amende, car cet acte constituait une contravention aux règlements affichés sur la porte de l'usine (163). Une autre ouvrière a dû payer à son patron, fabricant de rubans, une amende de 35 F pour n'avoir pas terminé un chargement commencé. Cette amende était prévue par un règlement, et la Cour de Cassation a appuyé les raisonnements du patron en qualifiant les stipulations d'amende comme « des clauses pénales. »(164)
Mais la plupart des amendes frappent des actes d'insubordination, des manques de respect, des manquements aux convenances. Il y a des amendes prévues pour des actes commis en dehors de l'usine et appartenant à la vie privée des ouvriers. Le règlement des usines Schneider interdit aux employés, contremaîtres et surveillants de tenir un débit de boisson ou une maison de commerce, ainsi que « lire des imprimés, journaux et autres publications ; de former des groupes, de chanter ». Ailleurs, les ouvriers logés dans les dépendances de l'usine doivent sous peine d'une amende de 1 F tenir les maisons avec propreté... Du rapport de Keufer, 1892, au Conseil Supérieur du travail Petit cite (165).: »Dans la région du Nord, un patron inflige une peine financière aux enfants ouvriers de10 ans qui vont à l'école du soir ».
Il n'est pas étonnant que l'ouvrier se sente humilié dans ces conditions. On le traite comme un incapable, comme un enfant, on l'assiste et on lui met dans la bouche ses opinions : le journal « Le Jaune » dont les positions sur le plan politique et syndical ne sont que trop connues, édite Les cahiers de l'ouvrier Théophile » (166) dont le chef, P. Biétry, annonce la couleur en exergue : « Mieux vaut s'unir avec les patrons contre les politiciens qu'avec les politiciens contre les patrons ». Ce livre se présente sous forme de catéchisme :
« Y-a-t-il plusieurs sortes d'ouvriers ? Oui ! Les uns travaillent avec leur intelligence comme ceux qui étudient et acquièrent la science ; les autres travailleurs avec leur volonté, comme ceux qui s'appliquent à la prière, à la méditation (…) les autres enfin travaillent avec leurs corps, leurs yeux, leurs mains... qui se livrent à des ouvrages matériels, comme les menuisiers, les maçons, les mineurs. « Mais les ouvriers sont peu considérés et méprisés ? Comment et pourquoi ? Non ! Un bon travailleur n'a pas à rougir de son métier quelque vulgaire qu'il soit, et s'il s'applique à son labeur quotidien, il aura l'estime de ses semblables et n'importe quel grand personnage pourra et devra serrer sa main calleuse avec respect et affection. Honneur et merci aux travailleurs qui sont le soutien, la vie, la prospérité de la Patrie ».
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