Mais ce qui ressort de l'analyse des hontes telles qu'elles sont vécues à l'époque du tournant du vingtième siècle, c'est que la honte se présente alors (ou toujours?) comme une culpabilité.
La honte, une culpabilité ?
Si la culpabilité est la conscience d'une faute, la honte est certainement une sorte de culpabilité - une des formes possibles de culpabilité. Mais elle n'est pas celle par laquelle on s'accuse pour avoir commis délibérément une faute, un crime, un acte agressif – elle n'est pas non plus celle que Freud entend par « culpabilité « qui n'a rien à voir avec la faute commise, mais qui est la mauvaise conscience de l'agressivité vécue à l'égard des figures parentales – du père – et tournée contre le sujet lui-même.
En revanche la honte n'est pas une culpabilité « d'agressivité, » mais une autre sorte de sentiment : c'est une douleur, un deuil, un sentiment de culpabilité de faiblesse, - aussi mythique, aussi mystique que la « force » de l'honneur à laquelle il fait pendant - une culpabilité qui dit que je suis de mauvaise substance, impur, faible, inférieur, défectueux ; et ceci n'a rien à voir avec mes actes libres et responsables. Lorsqu'on me stigmatise, lorsqu'on déclare que je fais partie d'une mauvaise race, que je suis de mauvais sang, de sexe inférieur, bâtard, malade ou homosexuel aux mœurs pervertis, il s'avère à l'instant même où éclate cette douleur en moi qui est comme un sentiment d'anéantissement, que j'ai comme un défaut existentiel inhérent à mon être, à ma substance et non pas à mes actions – comme un défaut hérité... Et après un temps je ne peux qu'endosser ce manteau de honte dans lequel le monde et ses yeux m'enveloppent. J'accepte le jugement ; je suis coupable du moment que je m'identifie au stigmate, et il est impossible de ne pas m'y identifier : ils savent mieux que moi.
Quant aux émotions contenues dans ces deux sortes de culpabilité, - celle de « l'agressivité, » celle de la faiblesse - ce sont les définitions de Spinoza dans l'Ethique (210 )) qu'il faut évoquer ici. Spinoza, en parlant des sentiments accompagnés d'une cause intérieure, dit :
« La satisfaction intérieure est la joie qui naît de ce que l'homme se considère lui-même et sa puissance d'agir (XXV). « L'humilité est la tristesse qui naît de ce que l'homme considère son impuissance et sa faiblesse « (XXVI). « Le repentir est la tristesse qu'accompagne l'idée de quelque action que nous croyons avoir faite par un libre décret de l'esprit »(XXVII).
Enfin, Spinoza parle de la haine de soi (Explications XXVIII), avec toutefois une réserve :
« Si nous faisons attention aux choses qui dépendant de l'opinion publique, nous pourrons concevoir qu'il est possible qu'un homme ait de soi une pire opinion qu'il n'en est juste. Car il peut se faire que considérant avec tristesse sa faiblesse, l'homme imagine qu'il est méprisé de tous(...)
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