Suzanne Horvath

Accueil L'histoire de la honte Les romancières hongroises
Une histoire d’honneurs et de hontes - p.97

Ailleurs, parlant de ces sentiments, Spinoza ajoute : « et ses sentiments sont très violents parce que les hommes se croient libres ».

Il ressort de ces définitions que l'on se considère ou que l'on se juge par sa puissance d'agir ; qu'il existe deux sortes de « tristesses » de ce point de vue : la première est celle de l'impuissance et de la faiblesse ; la seconde, la tristesse d'avoir commis une mauvaise action et d'en être responsable. Ce sont précisément les deux facettes de la culpabilité évoquées ci-dessus : soit on s'accuse d'avoir commis librement une mauvaise action, soit on s'accuse d'avoir été – ou d'être - faible. Cette seconde définition de la culpabilité correspond au contenu de la honte même : elle consiste à se sentir coupable de faiblesse - faiblesse fatale, héritée ou imposée, faiblesse endossée, fantasmée, faiblesse de l'individu non conforme aux normes sociales...tout se passe comme si c'était de sa faute d'avoir été faible. (211)). Il est évident par ailleurs que la culpabilité d'agressivité est un sentiment beaucoup plus tolérable que la culpabilité de faiblesse .

Cette faiblesse fantasmée, impliquant impureté, souillure, ne prend du sens que par rapport à la Norme et par rapport à ce qui représente la force – force vitale, force virile et pure-. L'évolution créatrice de Bergson, œuvre dans laquelle il représente l'évolution comme une force vitale, date de 1907 ! (212)

Mais endosser la honte – comme le fait Grégoire dans la Métamorphose tout comme K. avant d'être exécuté, dans le Procès, - n'est pas une fatalité : il ne suffit pas de prendre en considération seulement la force imprimante que la société exerce sur les individus ; il y a des stratégies pour éviter la soumission telles que le refoulement (conscient!) ; d'autres refuseront la stigmatisation. Mais une fois le jugement de l'état honteux accepté, l'indignité, la résignation influeront sur le mode d'être entier des personnes – sur leur façon de se confronter aux difficultés, aux risques, ou renoncer à les affronter. En somme, la honte-émotion sera partie intégrante de l' habitus de ces personnes.

Au risque de nous répéter : la société de 1900 a eu pour caractéristique d'avoir trop polarisé les images de corps malléables en images fortes masculines et images faibles féminines ; c'est en ceci que réside sa spécificité .

Les dominées ne peuvent pas ne pas accorder leur adhésion au dominant. L'ouvrage de la Baronne d'Orchamps (213) l' illustre bien : ce sont les yeux masculins qui construisent le corps des femmes, c'est leur vision que dépeint la Baronne, entièrement complice de cette vision.


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